Dénoncer les actes de tortures
rideau
Henri Alleg
Dès janvier 1955, l'écrivain François Mauriac publie un article dans l'Express intitulé « La question », alors que le journaliste  Claude Bourdet signe « Votre gestapo d'Algérie » dans France-Observateur. Deux autres journaux prennent aussi une part active à la campagne contre la torture, Le Monde et Témoignage chrétien, qui publie notamment les effarants témoignages des premiers rappelés à leur retour en France. Dès lors, dans les milieux intellectuels, enfle un vaste mouvement de protestation. Les premiers livres sur le sujet connaissent un retentissement considérable, comme La Question, témoignage d'Henri Alleg rédigé depuis sa cellule et passé clandestinement à l'extérieur. Le livre est interdit six semaines après parution, en janvier 1958, mais des dizaines de milliers d'exemplaires ont déjà trouvé leurs lecteurs. L'information sur la guerre en général et la torture en particulier circule aussi très vite grâce aux militants de l'extrême gauche française, partisans résolus de l'indépendance algérienne. Par ailleurs, de hauts fonctionnaires et des militaires ont également choisi de dénoncer la torture, quelles que soient les conséquences pour leur carrière. Ainsi, Jean Mairey, directeur général de la Sûreté nationale, auteur en 1955 d'un rapport très critique sur les méthodes de l'armée, démissionne en janvier 1957. En mars 1957, le général Paris de Bollardière, compagnon de la Libération et ancien d'Indochine, demande lui aussi à être relevé de ses fonctions : il refuse de pratiquer et de couvrir certains procédés utilisés par Massu. Enfin, les églises prennent elles aussi des positions tranchées en 1957: la Fédération protestante de France s'élève contre les pratiques policières et la torture. Et l'assemblée des cardinaux et archevêques publie une déclaration solennelle affirmant qu'il n'est jamais per­mis de mettre au service d'une cause, même bonne, des moyens intrinsèquement mauvais.

Si le problème de la torture en Algérie de 1954 à 1962 se pose nécessairement à l'historien, celui-ci doit l'aborder dans toute son ampleur et sous tous ses aspects. En ce qui concerne, ce qu'il faut bien, hélas appeler la torture française, il convient de distinguer deux temps. Le premier temps est celui des sévices infligés aux militants du FLN emprisonnés : c'est dans cette période, la plus longue, que le nombre de victimes fut de loin le plus élevé. Mais cette période a été suivie pendant plusieurs mois, en 1962, par l'application des mêmes méthodes à de nombreux militants de l'OAS. Ce qui me gêne, c'est que cette seconde vague n'a pas provoqué les mêmes clameurs de réprobation dans les milieux métropolitains.
Quant à la torture du FLN, dont il est curieux qu'on parle si peu, elle se situe sur deux théâtres distincts. En France métropolitaine et dans le cadre de la lutte contre le MNA : combien de cadavres retrouvés au coin des rues, dans les caves ? En Algérie, ensuite, à l'égard des villageois qui refusaient de se soumettre à l'autorité du Front : nez, lèvres, oreilles coupés, le catalogue est impressionnant. Ici encore, certains silences me gênent. Faut-il donc considérer qu'il est de bonnes et de mauvaises victimes de la torture ?

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