Les femmes peuvent-elles devenir avocates?
rideau
avocate en 1900

Pour ou contre...
Les femmes peuvent-elles devenir avocates?
Deux confrères s'affrontent.
Leurs arguments datent
des années 1930...

Contre...
Je n'ai pour ma part aucune objection à faire sur la soi-disant infériorité de l'intelligence féminine. C'est un point qui ne se discute pas.
Je n'ai, non plus, aucune objection à faire quant à la préparation d'un dossier. Je n'ai jamais eu personnellement de secrétaire femme, mais j'ai vu souvent des dossiers préparés par elles et il n'y a rien à objecter.
Mon avis cependant, est que ce n'est pas un métier de femme; le métier d'avocat est un métier de force, c'est un métier animal si vous voulez. Les femmes ont à s'expliquer toujours devant les hommes et, par conséquent, sont toujours en état d'infériorité. Quoi qu'on dise, il y a toujours sur les lèvres du magistrat qui voit paraître devant lui une jeune fille, un léger sourire. Il a tort, et peut-être que dans un temps, ce sourire n'existera plus, mais actuellement c'est ainsi.
Très certainement je ne conseillerai pas à ma fille de prendre ce métier si elle a besoin de gagner sa vie. Il y a des métiers d'hommes. Il y a des métiers de femmes. La boxe est un métier d'homme, le Barreau est un métier d'homme. C'est un combat en son genre.
Ce n'est pas une analyse chimique, un plan d'architecte, une lettre bien typée, c'est une bataille et, naturellement, il y a contradiction, entre tout ce qui est femme et tout ce qui est bataille.
L'éloquence judiciaire aura beau évoluer vers la simplicité, il y aura, toujours, une bataille à livrer en abordant l'adversaire.
Quant à moi, j'aime mieux que cette bataille soit livrée par un homme que par une femme, même en se plaçant au point de vue du client.
Et puis, ce qui est agaçant avec les femmes avocats, c'est qu'elles veulent toujours gagner leur procès, je dis cela dans un sens que l'on comprend. Elles ne font pas la nuance entre ce qui est normal et juste. Les rapports avec elles sont plus difficiles, car elles sont toujours sur la défensive à l'égard des confrères masculins. La femme, pendant des siècles, a été attaquée et, par conséquent, son réflexe naturel c'est la défense. Mais au Palais cela prend un aspect qui n'est pas de mise.
Il y a aussi la question de la résistance physique. Il m'est arrivé d'assister à des audiences qui commencent à midi et finissent à huit heures du soir. Quand je me retrouve seul dans ma voiture, je suis brisé. J'ai vu des confrères qui ont une certaine faculté de résistance, vraiment groggy après quelques heures de combat à la barre.
Il y a le sentiment de la responsabilité qui pèse sur vos épaules, ce n'est pas un combat simplement intellectuel, c'est quelque chose de vivant, d'humain. Pendant la délibération vous vous sentez, vraiment, comme écorché à vif; il s'agit de supporter cela et de reprendre, s'il le faut, le débat sur un incident qui ouvre à nouveau l'audience. C'est écrasant de fatigue. Pourquoi ne pas reconnaître franchement que ce n'est pas là un métier de femme? Après tout, il y a des incapacités de race; il y a aussi des incapacités de sexe. La femme n'est pas faite pour la contradiction. Maintenue à une certaine hauteur, à un certain plan intellectuel, la discussion, pour elle, devient dispute, c'est toujours le personnage de Feydeau dans les « scènes de ménage ». La femme n'a pas de grandeur dans la contradiction. Autre aspect. Les femmes n'ont pas, généralement parlant, le sens véritable de la défense en justice. Combien de fois ne nous disent-elles pas : Comment se fait-il que vous défendiez de pareilles canailles? On devrait leur couper le cou tout de suite.
Et elle disent cela avec une sorte de tension haineuse. Sans doute, beaucoup d'hommes tiennent le même raisonnement, mais ils l'entourent d'un peu de scepticisme, ils le disent d'une façon interrogative, et non pas manifestement affirmative, comme le font les femmes. On parle d'introduire les femmes dans le jury. Je suis systématiquement contre, car ce serait une augmentation certaine de la pénalité. Une femme, en général, a cette impulsion un peu primitive du vieux proverbe : dent pour dent, oeil pour oeil ».

avocate à la belle epoque

Pour...
Et pourquoi pas des femmes au Barreau? Je les y trouve tout à fait à leur place.
Je les ai souvent entendues plaider; elles plaident d'une façon parfaitement comparable aux hommes. Je ne vois vraiment pas ce qui nous autorise à nous croire plus malins qu'elles.
L'autre jour, je me trouvais en présence d'une femme à qui un dossier très suffisamment complexe avait été confié par un syndic de faillite; mon adversaire en est sortie à son honneur et son exposé était irréprochable.
Vous me direz que, peut-être, il y a deux ans qu'elle préparait son dossier; c'est possible, mais cela ne nous regarde pas, la seule chose que nous puissions envisager c'est comment elle s'en est tirée. Eh bien, elle s'en est très normalement tirée.
Vous voulez que cela soit exceptionnel? Mettons que c'est exceptionnel; mais même pour la valeur professionnelle moyenne, j'estime que les femmes valent les hommes. Il est inutile de nous hausser du col...
Les femmes abordent la profession avec une confiance inouïe, de l'ordre, de la méthode, une ténacité prodigieuse. Je pourrais citer des exemples de consœurs qui ont vraiment vaincu toutes les difficultés uniquement par la volonté et la ténacité.
Qu'il s'agisse d'un pourvoi au Conseil d'Etat ou au Conseil de préfecture, ou d'oeuvres de relèvement de l'enfance coupable, le tout est organisé avec une incontestable maîtrise.
Elles sont déjà trois cents, il n'y a pas de raison pour que le flot s'arrête; elles trouvent au Palais trop d'attraits, désormais, pour s'en éloigner. Evidemment, souvent ce n'est pas l'aspect brillant de la profession qu'elles réalisent, mais cela peut être le fond solide, l'utile. Quant à l'intelleétualité réelle dont elles font preuve, c'est une autre question. Admettons que les femmes n'aient pas le goût des choses de l'esprit. Le nombre des jeunes filles qui, étudiantes, poursuivaient avec avidité l'étude des programmes scolaires et qui ont, • plus tard, abandonné toute préoccupation intellectuelle, est, dit-on, considérable. La plupart se bornerait A de toutes petites lectures. Mais, dites-moi, nos confrères hommes sont-ils tous d'une autre essence?
Je suis partisan de la présence des femmes au Palais, et partisan tout à fait convaincu.

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