En 1901, un événement d'importance intervient dans la vie des grands magasins. Désormais, les vendeuses ont le droit de s'asseoir, de temps en temps, pour se reposer. Après moult réflexions, les députés ont fini par admettre qu'une station debout de dix ou douze heures d'affilée était fatigante. Même pour une jeune femme en bonne santé. La nouvelle loi va redonner aux employées le sourire indispensable à l'exercice de leur profession. Car, pour être vendeuse, il ne faut pas seulement posséder un physique agréable et avoir une certaine élégance, il convient encore d'arborer le sourire qui plaît à la clientèle.
Celle-ci, comme chacun sait, est reine. Quels que soient ses humeurs et ses caprices. Principalement dans ces temples modernes de la consommation implantés à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. L'année 1855 a vu l'inauguration du magasin du Louvre. La Belle Jardinière (fondée en 1824) s'est installée, l'année suivante, à proximité du Pont-Neuf. Le 9 septembre 1869, Mme Boucicaut a posé la première pierre des nouveaux bâtiments du Bon Marché. Sur le boulevard de Sébastopol, récemment percé par le baron Haussmann, urbaniste de Napoléon III, a surgi la grande épicerie de M. Félix Potin. Quelques jours avant le déclenchement de la guerre de 1870, Ernest Cognacq a passé avec un cafetier de la rue de Rivoli un accord lui permettant d'installer ses premiers rayons de mercerie, prémices des magasins de la Samaritaine, dont l'architecte Frantz Jourdain fera l'un des joyaux de l'architecture métallique. Les Galeries Lafayette, boulevard Haussmann, nées en 1895 de la rencontre de Théophile Bader et d'Alphonse Kahn, possèdent le premier grand magasin construit entièrement en ciment armé. A quelques pas de là est posée, le 23 mai 1907, la première pierre des nouveaux magasins du Printemps, en présence de l'ensemble du personnel qui faisait partie du premier établissement fondé en 1865... En 1907, les grands magasins parisiens traitent pour un milliard de francs de chiffre d'affaires, que se partagent notamment le Bon Marché (230 millions), la Samaritaine (130 millions), le Louvre (90 millions), les Galeries Lafayette (80 millions). À ce peloton de tête est venu s'ajouter le Grand Bazar de la rue de Rennes, construit par un jeune architecte de l'École de Nancy, Henry Guitton, pour le compte des Magasins Réunis.
Les grands magasins parisiens emploient au moins 6 000 personnes, dont une majorité de femmes. Demoiselle de magasin est un métier très sollicité. La demande est supérieure à l'offre. Obtenir une place est souvent affaire de piston. Chaque année, le nombre des demandes oscille entre 7 000 et 8 000. Et, pour entrer dans une grande maison, il ne faut pas avoir dépassé l'âge de vingt ans. Les fonctions se divisent en manutentionnaires, ouvrières, débitrices, vendeuses, employées à la publicité, employées aux écritures, dactylos, etc. L'emploi le plus modeste est celui de débitrice. Il consiste à recevoir les fiches de vente des mains des vendeuses, à accompagner les clients jusqu'à la caisse et à énoncer, devant la comptable, les ventes effectuées. La débitrice n'a pas d'appointements proprement dits mais perçoit une indemnité de 600 F par an, si elle n'est pas nourrie. Vient ensuite la vendeuse, dont, en 1907, aux Galeries Lafayette, le salaire de début s'échelonne entre 1 600 et 1 800 F par an. Une rémunération supérieure à la moyenne et qui varie selon la catégorie des rayons et l'importance de la ristourne sur la vente octroyée à la vendeuse. Des chanceuses décrochent le gros lot lorsque se présentent des clientes telles que la duchesse d'Uzès, achetant une layette de 30 000 F, ou Sarah Bernhardt, faisant l'emplette pour son chien d'un manteau fourré à 2 000 F et commandant pour elle-même un manteau d'automobile en zibeline à 15 000 F.