Une journée à la Foire en 1900
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« Dans le Béarn, écrit Eugen Weber, on disait d'une personne un peu sauvage, qui n'était pas à l'aise en société, qu'elle n'était pas bonne pour la foire. » Cela montre bien, en dehors de leurs aspects économiques, le rôle social des foires - en particulier dans les régions les plus déshéritées, pauvres en bonnes routes, éloignées des chemins de fer. La foire y constitue la seule occasion d'échapper au repli sur soi-même, de rencontrer « les autres » et même des étrangers, ainsi baptisés pour peu qu'ils habitent à 20 ou 30 km de chez soi. Un département voisin est déjà presque un autre pays.
Pour se rendre à la foire, on attelle à la carriole le cheval ou l'âne, mais on ne craint pas de s'y rendre à pied et de partir de bon matin. Les foires coïncident souvent avec les fêtes religieuses : les dimanches de la Pentecôte et de la Trinité en juin, l'Assomption en août et, surtout, les fêtes de la Saint-Jean le 24 juin, de la Saint-Jacques le 25 juillet, de la Saint-Barthélemy le 24 août, de la Saint-Simon-etSaint-Jude le 28 octobre, de la Saint-Martin et de la Saint-André en novembre. En même temps, elles sont liées au calendrier pastoral. Celles de l'automne permettent la vente des bêtes en surnombre, celles du printemps facilitent l'achat des boeufs de labour.

La foire, c'est d'abord une cacophonie de bruits multiples faite des cris mélangés des hommes et des bêtes. C'est le tournoiement d'une foule bigarrée où dominent les blouses paysannes. Aux délices des marchandages s'associent ceux du bavardage et le plaisir des yeux. Même si l'on n'est ni acheteur ni vendeur, il y a toujours quelque chose à dire et à voir. Les cafés font recette. C'est la station obligée des hommes, et qu'importe si, le soir venu, les retours s'avèrent difficiles. Mais le cheval, l'âne ou la mule, à la rigueur un ami complaisant, connaissent toujours le chemin de la maison. Les plus à craindre sont les voleurs. Dans la foule, portefeuilles et porte-monnaie ne sont jamais à l'abri des pickpockets.
Une journée de foire rompt avec la monotonie du travail quotidien. Elle facilite les contacts, donne l'occasion inespérée de flâner, de « perdre son temps », chose rarissime à la campagne. Le patois y règne, mais, en même temps, on se familiarise avec la langue française que parlent les messieurs et les dames de la ville ainsi que les marchands venus d'ailleurs.
On se fait couper les cheveux, même si ce n'est pas absolument nécessaire. On fait l'acquisition de souliers que le cordonnier du village, à côté de chez soi, aurait aussi bien pu vendre. La femme fait une folie en achetant une écharpe de couleur et son mari s'offre un couteau dont il n'est pas certain d'avoir besoin.

Les arracheurs de dents ont disparu, mais les bonimenteurs en tout genre sont toujours là. Des musiciens ambulants, des jongleurs, des magiciens se donnent parfois en spectacle. Le plus souvent, ce sont les saltimbanques qui animent les carrefours avec des animaux savants : des chiens, des singes et des chèvres qui montent à l'échelle et font la révérence et, en final, des ours bruns muselés et tenus en laisse qui battent tambour et font la quête.
Des chiromanciennes aux yeux noirs et en longues robes bariolées accrochent au passage la clientèle. Certaines ont « pignon sur rue » et affichent sur la porte de leur roulotte leur raison sociale et leurs capacités de devineresses en toutes matières : deuil, procès, mariage, héritage, affaires de coeur ou d'argent, amitié, maladie. Cinquante centimes sont demandés pour une consultation.
Quelques jeunes filles se laissent tenter, mais la plupart cherchent une manière plus directe de prendre rendez-vous avec leur avenir. Autrefois, il y avait des foires aux mariages, notamment à Périzé, dans le Finistère, à Challans, en Vendée, à Saint-Didier-sur-Rochefort, dans la Loire. Elles n'existent plus, ce qui n'empêche pas les foires d'être toujours des lieux de rencontre et d'idylle possibles entre jeunes gens, des endroits privilégiés depuis la disparition progressive des veillées.
paysannes du Berry au marché
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