Le langueyeur
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Dans l'ignorance du métier exercé par la personne désignée sous le nom de « langueyeur », on reste perplexe devant certaines images. À quelles manipulations celui-ci peut-il bien se livrer ? Le langueyeur a aujourd'hui disparu des foires et marchés où, pendant des siècles, il a pratiqué un art consistant à détecter la ladrerie chez le porc vivant destiné à la vente. Ce vilain mot de ladrerie désigne la maladie parasitaire provoquée par la présence dans les masses musculaires de l'animal de cysticerques, ou formes larvaires de certains ténias. Chez l'homme, ce parasite est le ver solitaire.
La plupart du temps, la ladrerie qui n'a pas encore évolué ne se manifeste chez l'animal par aucun signe visible, mais elle se révèlera, lors de la préparation de la viande de boucherie, par la présence sur les sections musculaires de petites vésicules transparentes de la grosseur d'un grain de blé : les cysticerques. C'est, dit-on, à cause de ce danger que les religions juive et musulmane ont interdit à leurs adeptes la consommation de viande de porc. Insuffisamment cuite, celle-ci communique à l'homme les cysticerques dont elle est porteuse. Dans l'intestin humain se développe un parasite adulte de forme plate, doté d'une tête, le ténia, dont il est, on le sait, difficile de se débarrasser.

Mais la contamination se produit aussi dans le sens inverse, quand le porc trouve et consomme des embryons de ténia issus des excréments humains, disséminés dans la nature. Les habitudes campagnardes étaient jadis propices à ce phénomène.
Il n'existe aucun moyen de soigner et de guérir un porc atteint de ladrerie. Aussi toute viande contaminée est-elle interdite à la consommation. C'est la raison pour laquelle cette maladie a été inscrite par la loi au tableau agricole des affections rédhibitoires. Ce qui signifie que le constat de cette maladie entraîne la résiliation du contrat de vente. D'où l'importance du langueyeur.
C'est un métier des plus anciens, puisqu'il est signalé à la fin du XVIe siècle par un édit du roi Henri IV, qui confirme les privilèges de la corporation tout en changeant son nom. À cette époque, les langueyeurs deviennent des jurés-vendeurs-visiteurs. Bien plus tard, sous le règne de Louis XIV, les membres de l'office prirent le nom de « vendeurs-visiteurs de porcs », puis d'« inspecteurs-contrôleurs ». On les appela également « essayeurs de pourceaux ». Ils marquaient à l'oreille les animaux malades.
Quel que soit leur nom, la tâche des langueyeurs était la même : déceler la maladie et, le cas échéant, déjouer les malices de certains paysans habiles à masquer l'affection dont le porc proposé à la vente était atteint. Pour ce faire, ayant repéré les cysticerques, ils les piquaient afin de les dégonfler, dans l'espoir qu'ils passeraient inaperçus.

Mais ces astuces ne pouvaient guère abuser un langueyeur averti. Pour opérer son contrôle, ce dernier couchait le porc sur le sol et l'immobilisait en appuyant un genou sur l'épaule de l'animal. Il arrivait que le langueyeur se fît aider par une personne de l'assistance. Ensuite, à l'aide d'un bâton, le « praticien » écartait les mâchoires de l'animal, ce qui lui permettait, en passant ses doigts sous le frein de la langue, de s'assurer que des grains ladriques ne s'y trouvaient pas lovés.
On continua à voir des langueyeurs dans les foires et sur les marchés après la Première Guerre mondiale, mais leur présence se raréfia au fur et à mesure qu'une partie des transactions leur échappait, quand les contrôles de la viande de boucherie devinrent systématiques et que l'hygiène de vie et la salubrité publique firent des progrès dans le monde rural. Enfin, la bonne cuisson de la viande de porc s'imposa progressivement dans les foyers comme une nécessité, une température de 48 à 50 °C détruisant les cysticerques.
Le bannissement total et définitif du ténia n'en fut pas acquis pour autant, mais le langueyeur n'avait plus sa raison d'être.
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