La petite bonne bretonne
rideau
l'ogresse de la Goutte d'or

Chassée de chez elle à cause de la naissance d'un enième enfant au foyer de ses parents, elle a débarqué un petit matin de 1890 à la gare Montparnasse. Se placer comme domestique est le seul moyen de survie, avec la prostitution, pour la plupart des jeunes paysannes bretonnes exilées dans la capitale, en jupon de coton, coiffe et sabots. Le mythe vivace de Bécassine vient de naître...
Quoique ne sachant ni lire ni écrire, Jeanne a très vite trouvé une place. Elle est entrée comme bonne d'enfant chez un architecte de l'avenue de Clichy dont la femme traîne sa vie sur une méridienne à préparer ses grossesses annuelles.
Trois ans passent ainsi qui font de Jeanne une jeune fille pas très jolie, certes, mais douée tout de même d'un charme dru. Tel est, semble-t-il, le sentiment de l'architecte qui, un soir de solitude en fait sa maîtresse. Puis ce qui doit arriver arrive : un beau jour Jeanne « tombe enceinte », comme on dit dans son pays.
En cette occasion banale et délicate, son amant ne se montre pas complètement lâche. Comma cadeau de rupture, il lui offre l'avortement, un petit viatique et un bon certificat qui doit permettre à la jeune fille de se replacer. Ce qui ne manque pas de se produire très vite.
Jeanne trouve une place auprès d'un célibataire. Mieux payée et moins occupée, elle prend pour la première fois le temps de vivre. C'est ainsi qu'elle fait la connaissance d'un jeune camionneur, Jean Weber, qui toute la semaine parcourt la province à bord d'une lourde voiture à chevaux. A l'initiative du garçon, ils se rencontrent bientôt de plus en plus fréquemment. Et puis, un dimanche qu'il l'a emmenée canoter sur la Marne, Jean Weber se déclare :
— On me propose une place aux Chemins de fer du Nord. C'est bien payé et comme je n'aurai plus à quitter Paris, on pourrait se marier.

C'est ainsi qu'à l'âge de dix-neuf ans, Jeanne Moulinet devient Jeanne Weber. Sans amour véritable, mais sans dégoût non plus. Pour faire une fin, sans doute.
Le jeune couple s'installe au 38 de la rue Pujol et dans la routine matrimoniale des petites gens sans curiosités ni moyens d'aucune sorte. Jean Weber s'est assez rapidement consolé dans le vin rouge du peu d'empressement amoureux de sa femme. Un premier enfant leur naît qui meurt à trois mois. Puis, est-ce la fatalité ou à cause des coups de pied dans le ventre que lui donne son mari, Jeanne met au monde une fille mort-née.
Pourtant elle ne se décourage pas et, en 1898, elle a enfin un autre enfant; Marcel est un garçon fragile, certes, mais qui vit. Jeanne, qui a eu des couches difficiles et des relevailles pénibles, se fait aider par sa belle-soeur, Blanche, pour élever son bébé. Très vite, les deux jeunes femmes deviennent plus que des amies. Deux autres frères Weber se marient à leur tour. Et chose curieuse, les belles-soeurs s'entendent aussi bien que les frères.
Ainsi, pour se rapprocher de Blanche et Charles qui habitent rue du Pré-Maudit, Jeanne et Jean déménagent et s'installent impasse de la Goutte d'Or.

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Jeanne Weber