La chanson de Craonne

A bas la guerre !

Adieu la vie, adieu l’amour-Adieu toutes les femmes-C’est bien fini, c’est pour toujours-
De cette guerre infâme-C’est à Craonne sur le plateau-Qu’on doit laisser notre peau-Car nous sommes tous condamnés-Nous sommes les sacrifiés
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Je ne sais pas si j’attendrai bien mon tour si ça marche mal à Paris, ça va mal aussi ici, hier tout le monde s’est révolté et a chanté L’Internationale. On ne va pas tarder à faire comme les Russes. D’abord je ne vois pas pourquoi on ne va jamais en permission, en plus, ils nous font crever de faim, plus jamais de repos et ils parlent de nous rogner encore nos rations. Alors, que va-t-on nous donner s’il n’y a plus rien, ils n’ont qu’à faire finir la guerre car il y en a plus qu’assez.
Témoignage
Il y en a plus qu'assez ! Lettre d’un soldat du 168e RI, 29 mai 1917.

L'origine de la chanson

la chanson de Craonne
Peu de gens, même érudits sur la guerre de 1914-1918, savent que la fameuse Chanson de Craonne
n’est pas une création datant des révoltes de 1917.
Cette chanson anonyme a sûrement plusieurs auteurs. Elle a continuellement évolué au cours de la
guerre en fonction des lieux principaux de combat. Elle apparaît sous le nom de La Chanson de Lorette
« complainte de la passivité triste des combattants » évoquant la bataille de Notre-Dame de Lorette à
Ablain- Saint-Nazaire se déroulant entre septembre 1914 et septembre 1915. Ensuite la chanson est
transformée pour évoquer le plateau de Champagne au cours de l’automne 1915. En 1916, elle devient une
chanson sur Verdun dont le refrain devient :
Adieu la vie, adieu l’amour
Adieu à toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Verdun, au fort de Vaux
Qu’on a risqué notre peau

Texte de la chanson de 1917

1er couplet
Quand au bout de huit jours le repos terminé
On va reprendre les tranchées
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c’est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le coeur bien gros, comme dans un sanglot
On dit adieu aux civelots8
Même sans tambours, même sans trompettes,
2eme refrain = 1er
3e couplet
C’est malheureux de voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c’est pas la même chose
Au lieu de se cacher tous ces embusqués
Feraient mieux de monter aux tranchées
Pour défendre leur bien, car nous n’avons rien
On s’en va là-haut en baissant la tête.
1er refrain
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on doit laisser notre peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés
2ème couplet
Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la relève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu’un qui s’avance
C’est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l’ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombe
Nous autres les pauvres purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendre les biens de ces messieurs-là
3e refrain
Ceux qu’ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce sera votre tour, messieurs les gros,
De monter sur le plateau
Car si vous voulez faire la guerre,
Payez-là de votre peau.

Une chanson révolutionnaire

Incontestablement, la Chanson de Craonne est mieux écrite dans ces trois vers, mais perd une
certaine rugosité syntaxique qui fait l’authenticité de la première version.
La fin de la Chanson de Craonne est totalement nouvelle, avec la 3e strophe et le nouveau refrain.
avec l’expression révolutionnaire de la lutte des classes, la haine des riches qui se confondent avec les
embusqués, les planqués, ceux qui échappent à la vraie guerre. C’est le spectacle révoltant des bourgeois des grandes villes, et surtout de Paris, vu par les soldats quand ils sont de Paris où y passent lors d’une
permission qui indigne les Poilus. Les embusqués sont des riches (les gros, ceux qu’ont le pognon)
qui n’ont même pas la décence de cacher leurs réjouissances :
C’est malheureux de voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose

Alors que les Poilus qui combattent sont de pauvres gens du peuple, des « purotins» qui meurent pour
« Pour défendre les biens de ces messieurs-là ». De sorte que le second refrain, qui clôt la chanson, exprime une espérance qui n’est plus celle, très éphémère, de la relève, mais celle de la révolte généralisée qui
obligera les riches à monter au front s’ils veulent préserver leurs biens de l’invasion de l’ennemi :
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce sera votre tour, messieurs les gros,
De monter sur le plateau

C’en est fini, non plus de la vie et de l’amour des femmes, mais de l’exploitation des pauvres Poilus et des
Poilus pauvres par les riches embusqués bourgeois. Ce que la chanson gagne en violence révolutionnaire,
politique, classe contre classe, en revanche sociale, elle le perd en profondeur humaine, en nostalgie d’adieu
à la vie, à la fiancée, à l’épouse, à la famille… C’en est fini de la guerre aussi, puisque si tous les soldats se
révoltent, se mettent « en grève », les riches embusqués seront trop peu nombreux pour les remplacer, à
supposer qu’ils le veuillent. Cette fin est manichéenne, car elle feint d’ignorer que dans les rangs des soldats
se trouvent aussi des gens de moyenne et de haute condition…