L'organisation des tranchées

Les poilus, soldats de l'enfer

Partis pour un été, les soldats de 1914 deviennent, au début de l'hiver, les poilus, enlisés dans la guerre des tranchées.
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La solitude absolue du guetteur

On imagine mal l'angoisse des sentinelles, placées à proximité immédiate de l'ennemi, bien souvent à quelques mètres, soit pendant toute la durée du jour, car il fallait éviter des allées et venues trop décelables, soit de nuit, où on ne les relevait, si d'ailleurs on le pouvait, que toutes les deux heures. Au petit poste, les guetteurs étaient doubles. Combien de fois, en effet, la solitude absolue eût-elle déchaîné la panique au moindre mouvement d'animal dans les herbes, au déplacement d'une branche au clair de lune.
Mais il arrivait aussi que la nervosité d'un des deux partenaires portât à son comble la tension morale du couple, souvent à la merci d'un coup de main allemand, et déclenchât des fusillades sans cause ou de généreux lancements de grenades, dont les petits postes étaient abondamment pourvus.

Le début des tranchées en 1914

Soldats allemands dans une tranchée en 1914
Quand la « Course à la mer » s'arrêta à la mi-novembre 1914, les deux adversaires, à bout de forces, n'avaient pu, ni l'un ni l'autre, atteindre leur but : les Allemands n'avaient pas plus pris les ports du pas de Calais, face à l'Angleterre, que les Alliés n'avaient pu chasser l'ennemi, ni de la Belgique, presque totalement envahie, ni du territoire français, dont dix départements allaient étouffer sous une occupation guère moins rigoureuse que celle qui survint vingt-six ans plus tard. Allemands et Alliés s'enlisèrent dans le sol, au point où les avaient conduits le flux et le reflux des cent premiers jours d'opérations.
C'est pourtant l'état-major allemand qui, après avoir livré une lutte farouche pour garder les observatoires, prit l'initiative de s'enterrer pour un long siège et fut ainsi responsable de cette vie... et de cette mort dans les tranchées. Dès ce moment, et avec une avance considérable, les Allemands conçurent un plan à la mesure du front tenu, englobant les voies de communication, le ravitaillement, le matériel, les munitions, l'armement nécessaire aux troupes.
De même qu'ils avaient déjà, pour la guerre offensive, conclu de la puissance du feu à la nécessité de rendre les troupes invisibles en rase campagne, de même surent-ils tirer de l'idée d'un front défensif, continu et permanent, organisé en profondeur, tout ce qu'elle contenait. Les fortifications devaient, d'une part, assurer la sauvegarde des combattants, et l'importance des retranchements apporter le maximum de sécurité, en suppléant à la faiblesse des présences humaines, ce qui diminuait d'autant les pertes. Elles devaient, d'autre part, réduire au minimum la fatigue des soldats et leur donner le maximum d'aises compatible avec la vie dans les tranchées.
Du côté français, on dut aussi s'arrêter et se protéger, mais on manquait de tout pour le faire. Nos soldats n'avaient parfois que leurs mains pour creuser la terre ; car ils s'étaient souvent débarrassés, pendant la retraite, de leurs outils portatifs, comme d'un poids mort. Les trous individuels qu'ils creusaient se relièrent l'un à l'autre tant bien que mal et se défendirent de l'approche ennemie par un simple fil de fer tendu, auquel on accrochait des bouteilles et des boites de conserves comme boites de résonance. On dormait où l'on se trouvait, en ce mauvais hiver 14-15, souvent dans la boue et la neige, parfois dans des niches qu'on avait pu ménager dans la glaise.
C'est dans ces conditions que la vie du soldat s'engagea dans les tranchées où, hormis les périodes de repos et les attaques, il passa désormais ses jours. Mais son comportement et l'emploi de son temps variaient, du tout au tout, non seulement avec ceux de l'adversaire, mais surtout suivant l'organisation de la tranchée sur laquelle il faut donc s'arrêter.

Description et organisation des tranchées

organisation des tranchées pendant la grande guerre
Il va de soit que les tranchées étaient plus ou moins profondes, leurs parois plus ou moins rectilignes et stables suivant la nature du terrain où on les creusait, roche, argile, marne, glaise; que le climat jouait son rôle pour transformer, sous l'abondance des pluies, la terre en boue, et que la multiplicité comme la densité des bombardements bouleversaient plus ou moins les divers secteurs. Ce qui les distinguait aussi les uns des autres, c'était l'activité ou la paresse de leurs occupants.
Quand on ne pouvait approfondir la tranchée de première ligne sans trop craindre l'éboulement, on édifiait du côté de l'ennemi une banquette de tir, où montaient les guetteurs. On évitait de creuser des tranchées trop ectilignes, car on s'y serait exposé aux feux d'enfilade des mitrailleuses ennemies, Au demeurant, les différences d'altitude, les bois, les sinuosités du terrain, les rentrants et saillants compliquaient souvent assez la perspective pour qu'on s'imaginât ne pas être vu de l'ennemi dans des endroits particulièrement exposés aux vues d'un observateur latéral.
Le tracé de la tranchée était du reste coupé d'obstacles de terre, dont le nom disait bien l'utilité : les pare-éclats. On ménageait souvent aussi dans les tranchées des passages rétrécis, dits chicanes, pour arrêter plus facilement d'éventuelles infiltrations ennemies. Dans les terrains humides, on renforçait les parois par des claies, des fascines, voire des gabions, ceux-là mêmes du temps de Vauban. Parfois même, là où on ne pouvait absolument pas creuser, la tranchée n'était qu'un chemin, balisé par des caillebotis, entre deux rangées de gabions.
La partie supérieure du parapet était généralement consolidée par des sacs de terre, où devaient se perdre les balles. Dans cette bordure, on introduisait des boîtes creuses en bois en forme de triangle, à la pointe ouverte vers l'adversaire : les créneaux, destinés au tir et, surtout, à l'observation. Ils se réduisaient souvent à une embrasure ménagée entre les sacs de terre.
C'est là que veillaient les guetteurs. Mais la plupart devaient occuper des impasses, creusées en avant de la tranchée de tir, qu'on appelait sapes, d'un nom emprunté au génie, qui désignait ainsi les entrées de boyaux de mine. C'étaient les petits postes, ou postes d'écoute, de funeste mémoire, qu'on protégeait au maximum avec des sacs à terre, des arbres abattus, parfois des boucliers d'acier.
La défense immédiate était assurée devant les tranchées par des réseaux de fils de fer barbelés, entrecroisés et attachés à des piquets. Sauf les jours de grand brouillard, on ne pouvait y travailler que de nuit, même quand les lignes étaient éloignées. La pose des réseaux était la pire des corvées nocturnes : il fallait prendre d'infinies précautions contre le bruit, par exemple en enveloppant de chiffons les maillets de bois.
Quand les tranchées n'étaient séparées que par quelques dizaines de mètres ou moins, on jetait par-dessus bord, de part et d'autre, des chevaux de frise, à la commune satisfaction des deux adversaires qui, de convention tacite, ne se tiraient alors pas les uns sur les autres. Les chevaux de frise étaient des barres de bois terminées pares X et entourées de fil de fer barbelé. On employait aussi le réseau Brun, rouleau souple hérissé de pointes qu'on posait ou lançait sur le terrain, où il se dépliait en accordéon. Le tout, en se rejoignant, formait une masse informe, déchiquetée et quasi infranchissable.
L'espace qui séparait les deux premières lignes, le no man's land, ne s'étendait jamais bien loin, en plaine au maximum à un kilomètre. Il pouvait se réduire à quinze ou vingt mètres dans les secteurs montagneux ou boisés.
Les différentes positions étaient reliées entre elles, comme les tranchées de la première ligne, par des boyaux de communication, on disait les « boyaux » tout court. Ils permettaient, en principe tout au moins, d'effectuer à couvert les corvées de ravitaillement et les relèves entre les troupes qui montaient et celles qui descendaient, d'amener les renforts et d'évacuer les blessés.

Un environnement de moins en mois sommaire

Les trous individuels et les abris précaires des débuts furent remplacés par de véritables pièces enfouies à plusieurs mètres de profondeur. Avec le prolongement de la guerre, ceux-ci seront de plus en plus solides et sûrs.
Ainsi, peu à peu, par des combines, des artifices ou des moyens réglementaires, mais surtout grâce au pillage des villages du front et des fermes détruites, le soldat améliorait ses conditions d'existence. Suspensions, lampes à pétrole, vaisselle, tabourets, chaises, petits meubles et garde-manger grillagés rejoignirent les tranchées. Les volets et les portes devenaient des tables ou des bureaux et, si un poêle ou une salamandre n'étaient pas trop lourds et encombrants, ils amenaient un peu de chaleur mais aussi beaucoup de fumée, une fumée dont il fallait se méfier car elle attirait l'obus et seule la nuit permettait de profiter du confortable foyer.
Le besoin de correspondre rapidement avec l'arrière imposa la téléphonie ; cependant, au moment de la préparation d'artillerie, sous le bombardement ou pendant l'attaque, c'était le plus souvent le « coureur » qui, le fil étant rompu, tentait de franchir l'enfer pour demander de l'aide ou communiquer les messages. La tranchée étant un ensemble, on y trouvait aussi des dépôts, des postes d'observation et de secours, des abris pour officiers, sans oublier les pauvres lieux d'aisance.
Contrepartie de ce confort : l'intimité des chambres rustiques violée, foulée aux pieds par tous les soldats qui venaient y chercher ce qui leur manquait. Jetés en tas, froissés, presque méconnaissables, chapeaux, robes, vêtements de femmes, lettres anciennes, jadis cachées sous les piles de linge... Tout ce qui était le secret, la fierté, le bonheur et le luxe des habitants de ces hameaux évacués... On imagine ce qu'y fut le retour.
emmenagement d'une tranchée en 1914-1918