L'armée japonaise ne comporte pas
de corps spécialisé dans les tueries
de masse tel que les Einsatzgruppen
nazis. Toutes les unités nippones
présentes à Nankin semblent avoir
peu ou prou participé aux exactions.
On ne connaît aucun officier
ayant marqué de claire réticence.
Au contraire, certains, comme le
lieutenant-général Nakajima Kesago,
commandant la 16e division, ont fait
du zèle.
Que des ordres aient été
donnés est incontestable, dans la
plupart des cas oralement, mais le
rapport d'opérations du 1er bataillon
du 66e régiment d'infanterie (114e divi sion)
mentionne clairement une
consigne d'exécution des prisonniers,
arrivée le 13 décembre à 14 heures.
Celle-ci est menée à bien partout,
implacablement, et en quelques jours.
De manière significative, les membres
du Cl n'ont jamais pu s'opposer si
peu que ce soit aux rafles de jeunes
hommes, considérés comme des
déserteurs possibles de l'armée
chinoise, alors que leur intervention,
même solitâire, suffira presque toujours
à empêcher ou interrompre des
viols. Dans un cas il y a des ordres, dans l'autre une simple licence.
Le comportement des officiers
Les officiers, qui ne furent pas les derniers à participer aux exactions, se signalèrent par une extrême mansuétude pour les crimes sur des civils, ce qui contrastait avec leur extrême sévérité (des années de prison, fréquemment, et au minimum un tabassage en règle) pour le moindre manquement au respect de la hiérarchie ou la moindre mauvaise volonté à l'exercice ou au combat. L'épisode du 18 décembre narré par Rabe est révélateur :
il était en compagnie d'un officier nippon quand un de mes voisins chinois arrive et nous annonce que quatre soldats ont envahi sa maison et que l'un d'entre eux est sur le point de violer sa femme. L'officier japonais et moi nous nous précipitons dans la maison du voisin, et empêchons le pire ; le soldat reçoit de l'officier une gifle sur chaque joue, et est ensuite autorisé à s'en aller.
Dans d'autres cas la « sanction » se réduit à la mise au garde à vous avec une voix courroucée. Quant à la police militaire elle ne put dépêcher que 17 hommes à Nankin; et son siège se transforma au moins occasionnellement en centre de viols.
C'est à Nankin que nous nous sommes le plus amusés
Les toutes premières arrestations de soldats par la police militaire pour exactions ne sont relevées que le 30 janvier, après sept semaines de terreur ininterrompue. Et les condamnations ne furent ni nombreuses, ni bien sévères. Un soldat de réserve fut sanctionné de 18 mois de prison pour le meurtre d'une Chinoise; un autre à quatre ans pour l'assassinat d'un Chinois et le viol de sa femme. À l'inverse, des menaces à l'encontre d'un supérieur et une blessure infligée à un cheval de l'armée étaient sanctionnées de cinq ans et demi de détention...
Au total, entre août 1937 et décembre 1939, 420 soldats japonais paraissent avoir été condamnés par des tribunaux militaires pour le viol ou le meurtre de Chinoises. Mais aucun n'a été exécuté pour cela.
Pour certains soudards, la dévastation de Nankin demeura un grand moment, de quoi racheter l'amertume d'avoir ensuite perdu la guerre. C'est ce que relate en 1986 Ozaki Junko, dans une lettre au quotidien Asahi shimbun. Fin 1945, alors que, collégienne en quête de nourriture avec sa mère, elle s'était arrêtée dans une auberge de village, elle entendit, horrifiée, la conversation de cinq ou six ex-soldats, reconvertis dans le marché noir :
Chacun se vantait de ses exploits de guerre. C'était insupportable de les écouter. Ils riaient grassement du nombre de femmes chinoises qu'ils avaient violées, et l'un d'entre eux raconta avoir observé jusqu'où son bras pouvait aller à l'intérieur du corps d'une femme. Les hommes continuaient encore et encore. C'est à Nankin que nous nous sommes le plus amusés. Nous pouvions faire tout ce que nous voulions et voler tout ce que nous désirions. Ils dirent que quand les soldats se sentaient épuisés et renâclaient durant les marches, leurs officiers supérieurs leur réclamaient un peu de persévérance, en leur promettant qu'ils pourraient faire tout ce qu'ils voudraient dans la prochaine ville.