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L'Abbaye et le couvent des Carmes

Les massacres
de septembre 1792

Au début du mois de
septembre 1792, des centaines
de prisonniers parisiens sont
massacrés à l' issue de simulacres de procès.
Ce brutal surgissement de la violence populaire peut
choquer, il a pourtant ses logiques cul turelles et politiques, même s'il interroge aussi sur les ressorts des comportements individuels et collectifs.

Ce fut à l'Abbaye que commença le grand nettoyage.

le massacre de septembre 1792
Ce fut à l'Abbaye que commença le grand nettoyage. Là périrent, parmi des centaines d'autres victimes, MM. Thierry de Ville-d'Avray, de Maillé, de Rohan-Chabot, de Maussabré, aide de camp du maréchal de Brissac, les abbés de Boisgelin, Lenfant, de Rastignac.
Les tueurs dont le zèle venait de s'exercer si brillamment au carrefour de Buci et dans la rue s'étaient joints avec empressement à l'équipe recrutée pour la prison, de sorte que les bras ne manquaient pas. On tuait dans les cours, on tuait sur la place de l'Abbaye, partout le sang coulait, partout les cadavres s'amoncelaient.
Dans la foule qui contemplait le terrible spectacle, foule composée en majeure partie de ces badauds impénitents qui sont attirés vers l'endroit où il peut se passer quelque chose, comme les papillons vers la lumière, se trouvait un modeste marchand nommé Notelet dont la correspondance avec des parents de province offre un réel intérêt.
Il venait d'arriver au carrefour de Buci lorsque apparurent les voitures envoyées par le dépôt de la mairie et assista ainsi au début des massacres. Pris de peur, il se disposait à rentrer chez lui lorsqu'il rencontra un de ses amis, François Pépin, colporteur de petites merceries, qui lui dit :
Restons auprès des voitures, ça va chauffer, il faut voir cela. Alors la curiosité, chez Notelet, l'emporta sur la peur et il suivit son ami Pépin.
Les deux hommes, suivant le cortège, pénétrèrent dans la première cour de l'Abbaye, qui était pleine de monde. Les voitures traversèrent lentement cette cour, puis, passant sous une porte charretière, s'arrêtèrent dans une autre cour dite grande cour du jardin.
A ce moment, notre marchand faillit se trouver mal en voyant s'avancer vers lui un des tueurs dont la pique était rouge de sang. Ne tenant nullement à faire parti d'un convoi pour l'autre monde, il se disposait à demander grâce lorsque le tueur lui dit : Tu as l'air d'un bon bougre, d'un vrai patriote, veux-tu me rendre un petit service ?
Notelet, comme bien on pense, ne se fit pas prier et ne songea pas à se demander ce qui lui valait l'honneur d'être considéré comme un bon bougre et un vrai patriote. Eh bien, tu vas te rendre rue du Dragon, dans la maison du cordonnier, tu demanderas la citoyenne Adèle et tu lui diras de m'apporter à manger ici. Le marchand quitta Pépin et partit pour la rue du Dragon.

Un terrible spectacle

Lorsqu'il revint, une demi-heure plus tard, l'aspect de la cour avait complètement changé. Il y avait toujours foule, mais la foule formait un grand cercle au milieu duquel se trouvaient des hommes armés de piques et de sabres; çà et là on apercevait une table couverte de verres et de bouteilles, et, autour de la table, des cadavres mutilés. Notelet vit amener un malheureux prêtre qui semblait près de s'évanouir et que deux hommes soutenaient.
L'un des tueurs, qui était en train de boire, vida tranquillement son verre, le déposa sur la table, s'essuya les lèvres, puis, saisissant un sabre, en assena un grand coup sur le crâne du prêtre, qui tomba en poussant un cri auquel répondirent des cris de « Vive la nation ».
Effrayé et n'ayant pas aperçu son ami Pépin, Notelet se hâta de quitter la cour. Sur la place de l'Abbaye, il se retrouva en pleine tuerie. Là aussi on égorgeait et les hurlements des blessés alternaient avec les cris de « Vive la nation ».
Il s'étonna de voir parmi les curieux de braves boutiquiers du quartier et de pacifiques bourgeois qui supportaient sans broncher l'effroyable spectacle. Il reconnut même une de ses clientes, une certaine veuve Brenair, demeurant rue Mauconseil, qui, un jour, s'était évanouie en sa présence parce qu'un chien avait été écrasé dans la rue. Continuant sa promenade et méditant sur les étranges contrastes qu'offre la nature humaine, il arriva en face de la porte de l'Abbaye, porte assez étroite qui s'ouvrait entre deux petites tours.
Des tueurs gardaient la porte; ils levèrent leurs sabres : un homme apparut, défaillant, dans le trou noir que formait la porte ouverte, poussé du dedans par d'autres hommes. Aussitôt les sabres s'abattirent et le malheureux s'affaissa, roula sur le sol en tendant vers ses bourreaux des mains suppliantes.

Le petit perron du couvent des Carmes

Un couloir étroit, qui s'ouvrait auprès de la sacristie et aboutissait à un petit perron encadré par une grille tapissée de plantes grimpantes, permettait de se rendre de l'église au jardin. Avant d'atteindre le perron, au pied d'un escalier conduisant à l'étage, le couloir s'élargissait, formant comme une sorte de palier de plusieurs mètres carrés.
Le commissaire de la section fit placer là une table et une chaise et y installa son tribunal Sur le perron, et devant ses quelques marches, se groupèrent des patriotes armés de sabres, de piques et de pistolets, prêts à procéder aux exécutions. Deux prêtres sortirent alors de la sacristie et s'avancèrent vers la table, leur bréviaire à la main. Ils étaient très pâles mais paraissaient résolus. Le commissaire, qui n'avait pas l'air d'un méchant homme, leur fit déclarer leurs noms et qualités, puis il leur demanda de prêter serment.
Cela nous est impossible, répondirent-ils.
Le juge soupira, et, d'un geste, ordonna de les faire passer dans le jardin. Ce simple geste constituait un arrêt de mort. On entendit des cris de douleur, un cliquetis d'armes, des hurlements, puis, enfin, l'inévitable cri de « Vive la nation ». La même scène se répéta un certain nombre de fois malgré les efforts du commissaire, qui aurait voulu faire cesser ce carnage.
Des tueurs qui, profitant d'une accalmie, fumaient tranquillement leur pipe sur le perron. Les exécutions commençaient en effet à s'espacer et, d'ailleurs, les tueurs se lassaient. Le commissaire profita de cette lassitude pour sauver quelques prêtres.
L'abbé de Barbot, reconnu par des voisins, fut sauvé par le commissaire, qui dit aux exécuteurs :
Mes amis, en voilà un que ses concitoyens réclament. Je vous propose de le mettre à part.
Qu'on le mette à part, répondirent-ils.
On parvint alors à faire coucher sous des bancs de l'église, en même temps que l'abbé Barbot, six autres prêtres qui furent ensuite conduits à la section, assemblée dans l'église Saint-Sulpice. Ces prêtres eurent la vie sauve.
Les massacres prirent fin un peu avant huit heures. Les portes du jardin furent alors ouvertes et le public fut admis à contempler les cadavres.

Au couvent des Carmes

couvent des carmes à paris en 1792
Il était alors près de cinq heures et le bruit venait de se répandre dans le public qu'on massacrait aux Carmes. tout se passait derrière de hautes murailles, ce qui avait découragé les badauds; quant aux habitants du quartier, ils paraissaient se soucier fort peu d'une action révolutionnaire dont ils n'avaient rien à craindre pour eux-mêmes. Lorsque arrivèrent les jours sombres, beaucoup d'ecclésiastiques se sentant menacés et se trouvant parfois sans asile songèrent à ce couvent si tranquille que la persécution n'avait pas atteint et se dirent qu'ils y seraient peut-être en sûreté.
D'autres y vinrent sur les conseils d'amis et même de membres de leurs sections; quelques-uns enfin y avaient été amenés d'office, peut-être parce qu'on espérait ainsi les sauver. A partir du 11 août, pourtant, un certain nombre de prêtres furent enfermés dans l'église des Carmes pour avoir refusé de prêter serment. Combien étaient-ils, derrière les murailles du vieux couvent? On ne sait au juste... Cent cinquante, deux cents peut-être.
Presque tous devaient y trouver la mort.
Le massacre eut, aux Carmes, cette particularité qu'il fut effectué à huis clos et par des volontaires non rétribués qui, sans doute, trouvèrent leur récompense dans la satisfaction du devoir accompli.
Vers quatre heures, les portes donnant sur la rue s'ouvrirent devant des hommes armés de fusils et de piques, presque tous ayant un sabre à la ceinture, qui entrèrent par petits groupes. Il y eut des conciliabules entre ces hommes. Une heure plus tard, on entendait des cris et l'on apprenait que l'archevêque d'Arles venait d'être mis à mort.
Alors ce fut comme une envolée de soutanes, une fuite éperdue qui donna lieu à une véritable chasse à l'homme; des prêtres furent abattus à coups de fusil et à coups de sabre derrière les arbres, les buissons fleuris, les charmilles odorantes. Commencée vers cinq heures, la scène se prolongea jusqu'à six. Lorsque les chasseurs estimèrent que le divertissement avait assez duré, ils s'entendirent pour rabattre le gibier et poussèrent, à coups de plat de sabre, les prêtres encore debout, blessés ou non, à l'intérieur de l'église.
A l'Abbaye, les condamnés étaient envoyés à la Force.
A la Force, on les envoyait aux Carmes, ils étaient priés de passer dans le jardin : en arrivant au pied de ce perron, qui n'a pas changé depuis 1792, les victimes étaient sauvagement massacrés.
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