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Bilan des émeutes
et témoignage
du Sieur Réveillon

Emeutes du faubourg
Saint-Antoine
à Paris en avril 1789

Le 27 avril 1789, à Paris, l'émeute contre le fabriquant de papiers peints Réveillon fait plus de 300 morts. Pour être un des épisodes les plus sanglants de l'année, l'affaire Réveillon n'en est pas moins une affaire confuse et encore mal expliquée.
Est-ce la dernière révolte de l'Ancien régime ou la première inssurection prolétarienne ?

Interrogatoire des blessés après les émeutes du Faubourg Saint Antoine

emeutes en avril 1789
Procès-verbal dressé par le commandant François Beauvallet, chargé d'inspecter et d'interroger les blessés transportés à l'Hôtel-Dieu, le 28 avril 1789 (extraits), Archives nationales
Dans le procès-verbal de l'enquête Réveillon, les blessés déclarent tous s'être retrouvés là par hasard. Si personne ne semble connaître les activistes qui ont pillé la maison du manufacturier, il s'en trouve un pour rendre responsable de ses maux... « le Tiers Etat »

Sur un lit de sangle, entre les lits 121 et 118.
Blessure à la tête constatée par Jean-Pierre Lambert, interne.
Pierre Augustin François Lot, marchand de mercerie et quincaillerie, rue Basse-PorteSaint-Denis, quartier Saint-Laurent, chez le sieur Delaunay, marchand mercier ; âgé de vingt et un ans.
A répondu que ce matin, il est sorti de chez le sieur Delaunay pour aller vendre des rubans sur le boulevard ; vers les 2 heures, le vent étant trop grand, il a renfermé ses marchandises pour aller les vendre à la course; arrivé rue Saint-Antoine, un petit garçon lui a demandé où il allait ; aussitôt, un homme, qui lui a paru gris, lui a porté un coup de bâton sur la tête ; ensuite plusieurs autres particuliers lui ont porté environ une vingtaine de coups de bâton sur la tête et sur les reins et lui ont pris la marchandise qu'il avait.
N'a pas reconnu ceux qui le frappaient ; ils disaient: «C'est Réveillon ! C'est Réveillon !» A signé.
Lit 85.
Blessure au bas de la jambe droite, dans l'articulation avec le pied, produite par une balle et constatée par Etienne Gudin.
Vers 3 heures de l'après-midi, il a quitté son ouvrage pour aller voir ce qui se passait dans le faubourg Saint-Antoine ; il a été jusque dans la rue de Reuilly, près la maison du sieur Réveillon, où il est resté environ une heure à regarder diverses personnes qui jetaient tout par les fenêtres dudit Réveillon ; les gardes-françaises ayant fait feu au moment où il se retirait, il a été blessé d'un coup de feu au pied. A répondu qu'il ne connaissait pas les personnes qui jetaient les effets du sieur Réveillon par les fenêtres, ni personne aux environs de cette maison. Ne sait pas qui a excité cette émeute, étant revenu hier seulement de Versailles.
A signé.
Lit 123.
Blessure à la partie supérieure de la tête par instrument tranchant.
Joseph Chagnot, débiteur de marbre, demeurant rue JeanBeausire, quartier Saint-Paul ; âgé de vingt-deux ans.
Interrogé sur ce qui lui a occasionné sa blessure, a répondu que c'est le Tiers Etat.
Il ignore si c'est un coup de sabre qu'il a reçu et qui le lui a donné. Il était rue Saint-Antoine, près la maison du sieur Réveillon. Il regardait les autres et avait un bâton à la main. Il ignore les causes du tumulte et n'a reconnu personne. Il était rue Saint-Antoine depuis le matin avec tout le monde à regarder.
Interrogé pourquoi il n'est pas allé travailler, a répondu que si on ne se soutenait pas, on serait perdu.
A déclaré ne pas savoir écrire.»
Lit 18.
Différentes contusions le long de la colonne vertébrale.
François Châteauneuf, compagnon menuisier, travaillant chez le sieur Paul, rue du Faubourg Saint-Antoine, vingt ans.
• Sur les deux heures de l'après-midi, étant sur la porte dudit Paul, il a été entraîné par une foule d'hommes armés de bâtons ; étant descendu dans la cave du sieur Réveillon, où il a bu du vin que lui passaient divers particuliers qu'il ne connaît point ; étant dans cette cave, il a été terrassé par une foule de personnes qui se sont précipitées pour entrer; ces personnes ont aussi bu du vin; cette chute lui a occasionné les contusions constatées. (...)
Ne sait pas signer.

Bilan des émeutes du faubourg St Antoine

Il s'agirait dans ce cas de l'une des journées les plus meurtrières de la Révolution à Paris. La plus sanglante sera le 10 août 1792 (environ mille morts), et aussi le premier jour des massacres de septembre (environ neuf cents tués), puis l'hécatombe des sections royalistes par Bonaparte le 13 vendémiaire an IV. Au 14 juillet 1789, il y aura quatre-vingt-dix-huit morts dans le peuple, plus le massacre de Launay, de Flesselles et de six membres de la garnison.
Un mois plus tard, on pendra aussi l'écrivain public Mary, et l'on condamnera à mort une femme, Jeanne-Marie Trumeau, qui sera grâciée parce que enceinte.
On condamne aussi aux galères cinq autres ouvriers du faubourg qu'on avait ramassés, ivres morts, dans les caves de Réveillon.
Le marquis de Ferrières, élu par le bailliage de Saumur, arrive de sa province avec beaucoup de curiosité et d'esprit d'observation. Il a l'intention de tenir des Mémoires et note au début de ceux-ci : « Tandis que l'on s'égorgeait à Paris, on s'occupait, à Versailles, à régler le costume des députés.»

Témoignage du Sieur Réveillon

pillage maison reveillon 1789
Exposé justificatif pour le Sieur Réveillon, entrepreneur de la manufacture royale de papiers peints, faubourg Saint-Antoine
Et Réveillon lui-même, quelle est sa version des faits ? Il la fait connaître en mai 1789. Pour lui, le pillage de sa maison fait suite à une campagne de calomnies visant à saper sa popularité et son crédit. Ses ouvriers, dit-il, auraient d'ailleurs été ses meilleurs défenseurs, s'ils avaient pu s'opposer à une foule ivre et manipulée

« J'écris ceci du fond d'une retraite, qui étoit le seul asyle que je puisse trouver contre les fureurs d'une multitude acharnée contre moi.
Je n'ai dans cette retraite pour consolation que la compagnie de deux ou trois amis qui tremblent encore que leurs assiduités ne me trahissent.
Des ennemis cruels (j'ignore qui ce peut être) ont osé me peindre au peuple, comme un homme barbare, qui évaluois au prix le plus vil les sueurs des malheureux. (...)
Jamais la calomnie n'a été plus injuste, et jamais elle ne m'a paru plus cruelle ! Un mot ce me semble, suffiroit pour me justifier. De tous les ouvriers qui travaillent dans mes ateliers, la plupart gagnent 30, 35 et 40 sous par jour ; plusieurs en ont 50 ; les moindres en reçoivent 25. Comment donc aurois-je fixé à 15 sous le salaire des Ouvriers ?
Au reste, je le dis bien sincèrement, je n'en veux point au Peuple, malgré les maux qu'il m'a faits ; il a été entraîné : mais combien sont criminels et punissables les gens qui l'ont porté à ces affreux excès !
Encore une fois ! j'ignore, ou je ne puis pas dire précisément quelle bouche impure a soufflé la rage dans le coeur de tous ces malheureux ; mais je sais qu'on a ourdi avec artifice les calomnies qui les ont égarés ; je sais qu'on les a échauffés graduellement ; je sais qu'on a été me dépeindre partout à eux comme l'ami de la Noblesse ; je sais qu'on m'a supposé auprès d'eux l'ambition du Cordon de Saint-Michel ; je sais qu'on leur a distribué de l'argent ; je sais qu'on a fini par leur dire que je voulois que les ouvriers ne gagnassent que quinze sous par jour.
Une perte immense, une maison dont je faisois mes délices, & qui présente partout l'image de la désolation, mon crédit ébranlé, ma Manufacture détruite, peut-être, faute des capitaux nécessaires pour la soutenir ; mais surtout, (& c'est ce coup qui m'accable), mon nom qui a été voué à l'infamie, mon nom qui est abhorré parmi la classe du Peuple la plus chère à mon coeur : voilà les suites horribles de la calomnie répandue contre moi. Ah ! ennemis barbares ! qui que vous soyez, vous devez être satisfaits !
Et cependant quels sont mes torts ? On vient de le voir ; je n'ai jamais nui à personne, même aux méchants. J ai quelquefois fait des ingrats, mais jamais des malheureux.
bas
Réveillon ou le philanthrope incompris.

Réveillon est bien le dernier patron que l'on pouvait accuser de maltraiter ses ouvriers. Ancien ouvrier lui même, il s'apparente plutôt à la lignée de manufacturiers philanthropiques et dynamiques, qui cherchent à mettre fin aux privilèges des corporations. Il ne pouvait imaginer que son nom évoquerait désormais l'émeute la plus meurtrière de 1789.