Les lourds convois prussiens s'embourbaient
En dépit de leurs avantages, déjà les Prussiens étaient las de la guerre. Ils étaient entrés en France débordant de mépris pour l'armée qu'ils auraient à combattre, imaginant que les villes ouvriraient leurs portes et que les campagnes les accueilleraient en libérateurs.
A l'approche des prussiens, le pays s'était vidé de ses vivres, de ses fourrages, n'offrant que les raisins verts de septembre aux soldats affamés que la dysenterie décime. Puis la France paysanne est en embuscade. Une France dont la défaite aurait détruit une infinité de contrats qui avaient arrondi tant de terre aux dépens des biens des nobles et des biens d'église.
La lisière d'un bois, la fenêtre d'une maison déserte, soudain, dans la nuit, s'éclairaient d'un coup de feu. Tous les paysans, écrit le jeune prince de Ligne, ou tirent contre nous, ou nous assassinent quand ils trouvent un homme seul ou endormi...
Il n'avait cessé de pleuvoir et, sur les routes détrempées, les lourds convois s'embourbaient. Au bivouac, un vent violent emportait les tentes. Sous un ciel bas et gris, dans le lointain, des villages brûlaient. Au coeur de ce pays à demi vaincu, les Prussiens voyaient s'évanouir la certitude de vaincre.
Ils pouvaient battre l'armée française. Ils savaient maintenant qu'il serait plus difficile de se soumettre les esprits.
Brunswick penchait pour une guerre de siège : avant de s'avancer plus avant, sous les averses incessantes, dans les chemins rompus, mieux valait, croyait-il, se saisir des forteresses de la Moselle et de la Meuse. Au printemps de 1793, il marcherait sur Paris. Tactique prudente d'un homme prudent qu'inquiétait l'attitude des Autrichiens, demeurés à peu près inactifs à la frontière du nord.
A la vérité, par crainte d'un succès trop éclatant de la Prusse, l'Autriche se fût accommodée d'une France paralysée par les troubles intérieurs et souhaitait transiger avec elle. Et la Prusse, engagée à l'ouest, redoutait que l'Autriche ne réglât sans elle les partages de la Pologne.
Les Prussiens tiennent la route de Paris
Cette temporisation déplaisait fort aux émigrés, inquiets de voir la guerre, en se prolongeant, transformer leurs libérateurs en conquérants. Ils représentaient au roi de Prusse que Louis XVI, sa couronne, sa vie dépendaient de sa volonté. Des marches rapides, des manoeuvres inattendues, des batailles éclatantes feraient en un clin d'oeil s'effondrer la Révolution devant l'Europe éblouie. Le roi de Prusse décida qu'on irait de l'avant.
L'Argonne, barrière de forêts, entre les bassins de la Meuse et de l'Aisne, déchirée de pentes abruptes, ruisselantes d'eau, trouée d'étangs et de marécages, s'opposait à l'avance des masses épaisses de l'armée de Brunswick. Seules cinq brèches la traversent, simples chemins de charrettes, gluants sous l'effet des pluies de septembre et bordés d'hostiles forêts.
C'est pourtant un de ces défilés que Brunswick attaqua et dont, par légèreté, Dumouriez le laissa s'emparer. La ligne de l'Argonne se trouvait forcée, la Champagne envahie. Un émigré, le baron de Breteuil, écrivait le 12 septembre, à Fersen : Les Prussiens marchent sur Paris...
Sur la ligne de la Marne ou devant la capitale, Dumouriez allait-il livrer un suprême combat? Au lieu de reculer, par une dangereuse audace il porte ses troupes à Sainte-Menehould, où, de Metz, l'armée de Kellermann vient le rejoindre, et prend à revers l'ennemi qui croyait l'avoir tourné. Dès lors, si les Prussiens tiennent la route de Paris, les Français tiennent celle de l'Allemagne.
Malgré Brunswick, plus disposé à temporiser qu'à se battre, le roi de Prusse donna l'ordre de revenir en arrière et d'attaquer les Français.