La maison kabyle
rideau

Il se tient généralement une fois par semaine, au bas du village, dans le bourg. Et voilà les paysans, endimanchés, lourdement enturbannés et juchés sur de vieilles cavales ou des ânes réticents, partis sur les raidillons et les chemins étroits, simples pistes jalonnées de pierres et de crottin ! Lorsque la côte est trop abrupte, le paysan, qui a beaucoup de compassion pour sa bête, met pied à terre et chemine à côté de sa monture. Côte à côte, ils ont a même patience et le même destin. Sur la route, beaucoup d'ânes trottent et portent d'autres paysans pauvres vers le marché. Engoncés dans leurs burnous, ils se disent bonjour et reviennent aussitôt à leur somnolence et à leur passivité premières.
Puis le marché surgit au détour d'un chemin, étalé sur plusieurs dizaines de mètres, dans un halo de poussière zébrée de couleurs : les mélias rouge et jaune et vert et bleu des paysannes qui font des taches sur la terre ocre. Là, c'est le carrousel : chèvres qui tirent sur leurs cordes et bêlent craintivement à l'unisson ; veaux dont les naseaux humides de rosée gouttent sur la toison marron des agnelets et des boucs ; poules caquetantes, serrées en rangs disciplinés ; gros maquignons, enfin, qui ont le turban haut et la bedaine molle, chamarrés comme des pouliches un jour de fête folklorique...

la marche kabyle
la marche en kabylie

Les paysannes kabyles aux nattes blondes, s'enroulent dans des gandouras amples, couleur safran, et vendent des figues noires et mûres, quasiment éclatées en deux, et des grenades ouvertes en quatre, pour exciter la convoitise des badauds. Mais c'est le marchand de tissus qui a l'air le plus heureux. Il danse parmi ses foulards et ses toiles bariolées. Il fait l'article et louche des deux yeux pour faire rire les bébés accrochés au dos de leurs mères dont les yeux, élargis par le khôl semblent un gouffre... pour qui sait s'y noyer.
Par terre, les tas de sel apportés par les hommes de la plaine éblouissent les passants. A côté, un camelot vante ses frusques démodées et s'égosille à chanter ses prix imbattables. Son agitation contraste avec la sérénité du marchand de dattes, assis à croupetons, la tête enroulée dans un chèche immense, le corps desséché et le visage émacié aux yeux de paludéen. Il vient du Sahara natal et porte ses mirages dans sa tête.
Les vieilles femmes aux cheveux rouges de henné ricanent aux sornettes du marchand de philtres magiques qui redonnent la virilité et la jeunesse, guérissent de la stérilité et attirent l'amante réticente. Mais l'homme n'a rien de comique. Il est plutôt fascinant. Il vend aussi des fioles de venin, des insecticides, des plantes médicinales, des caméléons séchés au soleil, de la poudre miracle dans du papier journal, en petits sachets bien ordonnés, du « rahat-loukoum » pour femmes stériles, du lait d'ânesse, de la cervelle d'hyène, des ailes de chauves-souris, des recettes magiques, des corans enluminés et toute une pharmacopée traditionnelle : thym, harmale, benjoin, soufre, alun, ambroisie, absinthe, tilleul, gomme d'Arabie et de férule, clous de girofle, menthe sèche, cannelle, safran en poudre et en stigmates, poivre, gingembre, carcasses de tortue de mer, etc.

un marche en kabylie

Au milieu du marché, il y a l'arracheur de dents. Il trône au centre d'un cercle de curieux et de malades hésitant à se livrer à la fougue du bonhomme. Le dentiste assied le patient sur un tabouret et travaille au vu et au su de tout le monde. Il clame qu'il n'a rien à cacher et fait l'éloge de son art sans aucun scrupule ni aucune pitié pour le malheureux, qui tremble de peur à le voir ainsi dressé au-dessus de lui, l'ins­trument aseptisé et brandi. Puis le char­latan invoque Dieu et le Prophète, fait des fumigations et finit par aller farfouiller dans la bouche du malade, tout en continuant à donner aux badauds des cours de haute médecine.
Les marchands de thé balancent nonchalamment leurs ustensiles sous lesquels crépitent des braseros retenus par des bouts de fil de fer ; ils imprègnent l'atmosphère d'une odeur de menthe et de breuvage précieux et brûlant. Ils déversent en trombe leur liquide dans des verres grands comme la main. Ils désaltèrent les paysans.
L'odeur du bétail se mêle à celle des caroubes, dont les tas immenses sèchent au soleil et débarrassent l'air de la pestilence des enclos où paissent les bêtes.
Au milieu du souk, le berrah, harnaché comme un maréchal, annonce les prix et dirige la vente. Il a fort à faire et tourne de tous les côtés d'où fusent des chiffres et des mots. La surenchère s'organise et devient même une bataille entre clans rivaux ou bien entre commerçants qui se font de la concurrence. Lorsqu'une vache est acquise par un acheteur, le berrah fait le tour du marché pour annoncer qu'elle est dorénavant le bien de celui qui vient de l'acheter. Il prend à témoin l'assistance. Celle-ci entre dans le jeu en disant:  Qu'elle lui soit bénéfique !

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Alors que tous les enfants européens sont scolarisés en 1945, seuls 11% des enfants algériens, en majorité des garçons, vont à l'école. Comme dans les campagnes françaises un demi-siècle plus tôt, les familles utilisent les enfants pour les tâches de la maison ou des champs.
Et l'administration française n'a guère fait d'efforts pour scolariser les Algériens. Algériens et Européens fréquentent des écoles distinctes. Après la Seconde Guerre mondiale, l'école publique essaie de rattraper son retard. En 1946, la partition disparaît, il n'y a désormais plus qu'un système d'enseignement primaire, ouvert à tous.
Cette mesure met sur les mêmes bancs des élèves de toutes origines. Pourtant d'importantes disparités persistent. 90% des Algériens résident hors des villes où se situent la grande majorité des écoles ! A la campagne, seul un enfant algérien sur cinquante, voire soixante, va à l'école. Lorsque commence la guerre d'Algérie, plus de neuf Algériens sur dix ne savent ni lire ni écrire en français.

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