Charette prisonnier
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Charette prisonnier

C'est alors que le Vendéen retrouve ses esprits. Toujours allongé dans la bruyère, il tend la main gauche vers le pistolet de l'Espinay, mais le sabre du capitaine Vergès s'abat et lui coupe le pouce et deux doigts.
A ce moment-la arrive Travot. Il court, il n'en peut plus. Il voit le blessé couché aux pieds de Vergès. Est-ce bien Charette cet homme couvert de boue et de sang. qui ne se défend plus... ? Travot se jette sur lui et le couvre de son corps, tant il a peur que le fugitif ne disparaisse encore. pour la centième fois, alors qu'on croit le tenir.
— Comment t'appelles-tu ? demande-t-il.
Un de ses chasseurs. qui a approché le chef vendéen lors du traité de La Jaunaie, se penche sur le blessé, essuie le sang sur le visage et assure :
— Tenez ferme. c'est notre homme . Epuisé, Charette finit par répondre à Travot qu'il est bien celui qu'il espère.
— Oui, foi de Charette,
Alors des cris s'élèvent de tous côtés :
— Charette est pris ! Charette est pris !
Le général Travot traite son prisonnier avec tous les égards d'un vainqueur devant le plus prestigieux de ses ennemis. et Charette lui en sait gré. Dès qu'il apprend l'identité de celui qui le tient prisonnier, le chevalier lui adresse ses félicitations :
— Je préfère être pris par toi que par tout autre. Travot s'incline devant un tel compliment. Il va du reste se laisser séduire par la personnalité de ce glorieux prisonnier.
Il est midi et demi. Des conjurés partis le matin de la ferme de La Pelleriniére, trente-cinq sont morts dans les bois et les prés en escortant leur chef.

Ranimé par un peu de rhum, le grand vaincu retrouve toute son énergie. Il refuse la civière que Travot vient de faire confectionner, et fait à pieds les 500 mètres qui le mènent au château de La Chabotterie. Il est conduit dans la vaste cuisine, soigné, restauré, fouillé. Il supporte tout avec un calme qu'il conservera jusqu'à son exécution, Travot, qui éprouve une admiration de plus en plus vive pour son prisonnier, recommande qu'on le traite avec beaucoup de ménagement.
Le lendemain, le chef vendéen est conduit à Angers, en deux étapes. Sur tout le parcours s'attroupent soldats et paysans. Beaucoup suivent l'imposant cortège qui entoure Charette. Ses habits recouverts de boue et de sang séchés, le bras gauche soutenu par une écharpe formée de grands mouchoirs de Cholet. coiffé de l'informe chapeau de Pfeiffer, il a une fière allure qui impose le silence à tous ceux qui sont accourus pour le voir. Sur sa veste sont brodées trois fleurs de lys d'or, aux côtés de sa croix de Saint-Louis et de son crucifix.
Le général de brigade d'Hédouville, chef d'état-major de Hoche, attend le Vendéen dans le grand salon de l'hôtel de Lantivy, siège de son commandement à Angers. « Lorsque Charette parut, suivi de Travot qui l'arréta et de ses adversaires Grigny et Valentin, tous se trouvèrent gênés et comme honteux dans Ieurs uniformes de grande tenue dont les dorures étincelaient sous les lustres, devant ce vaincu, couvert de poussière et ensanglanté.
D'Hédouville traite son prisonnier avec la plus grande humanité. Il offre même un grand dîner en son honneur, et les convives ne cachent plus l'admiration que leur inspire le comportement digne. et même enjoué. du futur condamné. On lui demande :
— Nous ne croyions pas. général que vous vous laisseriez prendre vivant. — Ma religion, monsieur, m'interdit le suicide. Je ne tarderai pas. d'ailleurs, à vous montrer que je ne crains pas la mort.

Le 27 mars. à 9 heures du matin, Charette monte dans une grande barque, surchargée de soldats, qui le conduit à Nantes. C'est là qu'il doit être jugé. Le général Duthil, qui commande la place, est un ancien caporal de l'armée de Mayence. C'est un homme grossier. Il va se déconsidérer par le traitement barbare qu'il impose au Vendéen. En effet, celui-ci est promené à travers la ville comme une bête curieuse.
— Ils (les Nantais) l'ont vu et acclamé lors de son entrée triomphale a Nantes, apres la paix de La Jaunaye, ils le reconnaîtront...
Pour accompagner le Vendéen qui marche sans liens encadré par quatre officiers de gendarmerie, Duthil mobilise les grenadiers et les chasseurs de la Garde nationale, deux compagnies d'infanterie et deux compagnies de la légion nantaise, cinquante tambours et toutes les musiques de la garnison, enfin tous les généraux en grande tenue. Mais s'il espérait provoquer des huées, Duthil se trompe : un silence respectueux, coupé de quelques « Vive la République ! » accompagne cette sinistre promenade. Epuisé par trop de sang perdu et mourant de soif, Charette sur le trajet du retour craint de s'écrouler. Il demande une halte. On le fait entrer dans une épicerie, on lui offre un verre d'eau. Quelques minutes lui suffisent pour reprendre suffisamment de forces. Il se lève, il sort de l'épicerie.
Là, se tient le général Duthil, près de la porte.
— Si je vous avais pris, dit Charette avec mépris, je ne vous aurais pas promené. Je vous aurais fait fusiller tout de suite.
Il n'aura pas d'autre plainte.
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La mort des géants