Témoignage du sergent Lavaux
Le sort des prisonniers est inégal comme l'attestent les divers témoignages qui suivent. Le sergent Lavaux, retenu prisonnier en Hongrie en 1799, écrit : Nous n'avions pour promenade qu'une petite cour qui n'avait point d'air. Nous ne pouvions aucunement sortir. Nous avions pour nourriture un mauvais pain et tous les jours rien que des haricots accomodés avec du suif de mouton. Nous étions couchés sur une poignée de mauvaise paille mangés par la vermine -.
Le même sergent raconte les malheurs des prisonniers russes en 1807, lors de la terrible campagne de Pologne : J'ai vu des prisonniers (russes) que nous conduisions au quartier-général, manger du crottin de cheval. Plusieurs sont morts de faim en route; nous ne pouvions pas leur donner du pain puisque nous n'en avions pas pour nous. Après Tilsitt les prisonniers russes furent renvoyés en Russie après avoir été habillés à neuf, nourris et avec quelque argent en poche ! Il est vrai qu'à cette époque l'Empereur et le Tsar étaient au mieux.
Le sort des prisonniers français en Russie
Le sort des prisonniers français en Russie fut particulièrement pénible. Rostopchine détenait à Moscou quelques malheureux prisonniers français : il les privait de nourriture, les mutilait, et quand ils étaient exténués, déguenillés, défigurés, il les faisait promener et montrer par la ville comme des bêtes fauves, les livrant aux insultes et aux mauvais traitements d'une population ignorante et barbare. Puis, il les faisait jeter dans des cachots, où ils mourraient de misère et de faim. Ces faits ont été attestés par des prisonniers survivants. Le capitaine Lalo, capturé par les Russes en 1813, raconte qu'il fut enfermé, avec d'autres prisonniers, dans des écuries sales et qu'il fut nourri avec des pommes de terre et du son... que les Russes appelaient farine !
On rencontre, mais rarement, des exemples en sens inverse ; ainsi Louis Jacques Romand prisonnier en Hongrie en 1813 : - Sitôt leur arrivée dans leurs cantonnements, les officiers s'étaient empressés d'aller rendre visite au comte de Migazzi qui les accueillit d'une manière à leur faire connaître qu'il aimait les français. Dès le même jour il les fit manger à sa table où ils furent servis avec une somptuosité peu commune. M. le comte avait 15 à 20 personnes à dîner et pendant six mois consécutifs que nous restâmes là, ce fut la même chose -. Inutile d'ajouter que des témoignages dans ce sens sont rares !
Les prisonniers aux mains des Anglais
Les prisonniers aux mains des Anglais ne sont guère mieux partagés qu'en Espagne : la Grande-Bretagne a elle aussi ses pontons d'où l'on ne s'évade pas, les prisons à terre étant généralement réservées aux matelots.
Certains des nôtres, qui sont ainsi incarcérés, ont été capturés dans le royaume de Naples et ont fait un séjour à Malte, puis à Gibraltar, avant d'arriver à Portsmouth ; d'autres viennent directement du Portugal ou d'Espagne.
Les vivres qui leur sont alloués sont les rebuts des réserves de la marine britannique ; quant aux effets qui devraient leur être distribués, ils donnent lieu à un commerce fructueux dont bénéficient seuls leurs gardiens. A la moindre peccadille, les captifs sont enfermés s'il fait beau, mais exposés une journée entière aux intempéries s'il pleut ou gèle.
Les officiers sont généralement autorisés à résider dans une ville déterminée, sur leur parole de ne pas s'éloigner de plus d'un mille, de rentrer tous les soirs au coucher du soleil, et de répondre chaque semaine à deux appels. Moyennant quoi ils touchent une indemnité journalière de trente-six sous pour subvenir à tous leurs besoins. Les moins dépourvus sont ceux de notre marine qui sont autorisés à recevoir de France leur demi-solde, faveur qui est refusée à ceux de l'armée de terre. A maintes reprises des pourparlers seront engagés par Paris pour tenter d'obtenir des échanges, sans que ceux-ci aboutissent jamais, tant demeure intransigeante la détermination britannique à l'égard de Napoléon.
Les pontons, des prisons de sinistre mémoire
Les plus malheureux de nos prisonniers furent assurément ceux pris en Espagne, où, après le déclenchement de l'insurrection, ils ne se trouvent plus les prisonniers d'une armée, mais ceux d'un peuple déchaîné, s'acharnant sur des hommes amoindris physiquement et leur faisant subir des traitements indignes.
On sait toute l'horreur vécue par eux sur les pontons, de sinistre mémoire, et dont nous ne pouvons nous abstenir de parler ici, en dépit des nombreux récits qui en furent faits.
C'est que, jusqu'à notre époque, ils demeurèrent l'image d'une double cruauté : celle, il faut bien le reconnaître, des
Anglais, qui traiteront les soldats français tombés entre leurs mains comme des malfaiteurs de droit commun, ce qui alors n'est pas peu dire, et la véritable barbarie apportée par la populace espagnole, s'ingéniant à inventer des supplices qui tiennent du sadisme et que rien ne saurait excuser.
Les blessés et malades sont extraits des hôpitaux dont nous avons déjà dépeint toute la misère, pour être conduits comme un bétail, le long des routes, jusqu'aux pontons à demi pourris à bord desquels ils sont entassés en rade de Cadix.
L'eau y fait cruellement défaut, si ce n'est celle de la pluie, qui s'infiltre à travers les ponts crevassés, l'air est vicié, dans
des entreponts surbaissés où jamais ne pénètre le soleil. Très
tôt, la dysenterie, le typhus et le scorbut s'y déclarent, sans qu'aucune mesure sanitaire soit envisagée. Une nourriture
dérisoire et malsaine, en même temps que la présence des malades laissés sans soins contribuent à développer une effrayante mortalité.
Les médecins eux-mêmes ne bénéficient d'aucun traitement particulier et subissent le sort des soldats plutôt que d'être chargés d'en soulager les misères. Ils partagent avec eux, les jours fastes, la gamelle de fèves et de riz.
Sur la trop célèbre Vieille-Castille, assignée aux officiers, ont même été emprisonnés des commerçants français, établis en Espagne depuis parfois trente ans, et dont certains étaient naturalisés !
Tous les deux jours, une chaloupe apporte les vivres qui sont répartis entre les groupes réunissant quinze à vingt personnes ; les repas sont confectionnés dans une gamelle commune où chacun pioche tour à tour avec sa cuiller.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, beaucoup de femmes y sont également internées : épouses légitimes, ou compagnes « mariées comme on se marie à l'armée», ce qui leur permet, à l'occasion, de changer de mari, et elles s'en privent d'autant moins qu'on vit là avec une simplicité qui exclut toute jalousie.