Après Valmy, misère et dysenterie
Sur les hauteurs dénudées au sol crayeux, et si blanches qu'on eût dit que la neige les avait recouvertes, l'armée prussienne vivait des jours de terrible misère. Par les chemins défoncés, les convois de vivres arrivaient mal. Le pain, mouillé par la pluie qui traversait les bâches, était détrempé et moisi. Même l'eau manquait, sauf dans les étangs souillés par les cadavres des chevaux. La dysenterie continuait à décimer les troupes et, des fosses peu profondes, émergeaient des mains et des jambes. Les souliers déchirés, en loques, accroupis dans la boue autour d'un feu misérable, les soldats grelottaient dans leur bivouac fangeux.
Le comble, c'est que l'inquiétude régnait aussi du côté des Français. Valmy ne possédait pas encore le sens que les historiens lui assignèrent depuis avec tant d'assurance, et le gouvernement révolutionnaire comme l'opinion publique n'avaient attaché d'abord qu'une médiocre importance à cette bataille. Au lendemain de Valmy, le ministre de la Guerre, Servan, effrayé par la présence des Prussiens entre Paris et notre armée dont ils coupaient les communications, conseilla à Dumouriez (à gauche) de se retirer derrière la Marne.
En vain, pour rassurer Servan, Dumouriez lui affirmait-il que, chaque jour, l'armée prussienne se désagrégeait d'elle-même, que l'ennemi ne pourrait bientôt plus avoir d'autre but que d'évacuer le territoire et que l'infériorité numérique empêcherait Brunswick de marcher sur Paris.
Brunswick (au-dessus du texte) désirait en finir avec une expédition dont il avait toujours douté du succès : visiblement, son armée ne pouvait supporter les risques d'un nouveau combat; l'Autriche refusait d'engager dans la guerre les effectifs indispensables; Catherine II n'envoyait aucun secours sous prétexte que la Russie s'occupait des affaires de Pologne.
Cette solitude dans l'effort, la misère croissante des troupes inclinaient la Prusse à négocier. Mais Frédéric-Guillaume exigeait la restauration de Louis XVI et la Convention venait de proclamer la république. Le roi de Prusse refusa de la reconnaître. A Danton qui lui offrait l'alliance de la France, il répondit par un violent manifeste signé de Brunswick, et Dumouriez répliqua au messager :
Annoncez à votre général que la trêve cessera demain et que j'en donne l'ordre devant vous.
Le 1er octobre, les Prussiens commencèrent donc une retraite que la volonté de Dumouriez aurait pu transformer en désastre.
Dumouriez laissa les Prussiens franchir les défilés de l'Argonne, prescrivant à ses lieutenants de faux mouvements pour éviter de les harceler. Et Verdun, Longwy, repris sans combat, il les reconduisit sans les inquiéter jusqu'à la frontière.