Le commando Georges
rideau
bigeard

D'un air dégoûté, le colonel Bigeard regardait la section de bidasses fagotés de treillis kaki tire-bouchonnés et tachés qui rendaient les honneurs aux victimes de la dernière embuscade d'Oranie.
Trois katibas sous les ordres de Medjoub tenaient le secteur. Face à lui un brave colonel d'artillerie, une bonne tête à binocles, farouche partisan du pas d'emmerde avant tout. Moins on bougeait mieux ça valait. Cette politique, partagée par un grand nombre d'officiers supérieurs d'un certain âge, avait donné des résultats catastrophiques.
Bigeard, écoeuré, avait accepté le secteur, conscient du cadeau empoisonné qu'on lui faisait. Cette fois, il n'avait pas ses paras mais de bons bidasses du 8" R.I.M., des spahis, trois batteries d'artillerie et un régiment d'Algériens ! Mais ça lui plaisait, il allait en faire des troupes d'élite, prouvant une fois de plus que le contingent valait ce que valait son encadrement. Les colonels classiques en boufferaient leur képi et détesteraient un peu plus cette grande carcasse de Bigeard moulé dans son treillis bariolé.
Et le grand cirque avait commencé. Avec ses capitaines et lieutenants à gueule de loup il avait fait son cross quotidien. Ensuite la piscine. Des gars avaient suivi. On leur avait donné des treillis ajustés, des blousons, des rangers. On leur avait expliqué la guerre. Ils n'avaient plus peur. En quelques semaines, avec beaucoup de démagogie mais aussi avec ce rayonnement étonnant qui en faisait un remarquable meneur d'hommes, Bigeard avait transformé les appelés de ce secteur. On se répétait ses accrochages avec Alger pour obtenir du matériel, des tenues camouflées, des casquettes, bref tout son attirail. Son insolence frénétique à l'égard de l'échelon supérieur ravissait ceux des sous-lieutenants qui l'avaient vu arriver d'un oeil sceptique. Cinquante fois il avait mis sa démission dans la balance pour obtenir carte blanche. Et il avait gain de cause. Il fallait qu'on eût besoin de lui !
Son mépris des militaires classiques, ceux qui pensaient à l'avancement, aux relations, aux bananes sans se soucier des hommes qui, lors des accrochages, restaient sur le terrain, lui avait valu rapidement une popularité sans précédent parmi les troupes du secteur. Une fois de plus il soignait sa légende. Le mess et ces colonels de salon lui sortaient par les yeux. Lui, c'est la guerre qu'il faisait.

Et les résultats n'avaient pas tardé. Bigeard n'attendait pas les fells, il allait les débusquer. A son arrivée, le 2° bureau estimait à mille les armes de guerre aux mains des rebelles, lorsqu'il partira il ne restera pratiquement rien.
Bigeard n'épargnait personne. Il avait commencé par mettre au pas les gros colons de la région. Même régime pour tout le monde. Apprenant que de jeunes Européens de Saïda déclenchaient des bagarres en ville il les avait attendus avec quelques-uns de ses hommes, les avait arrêtés, puis comme ils étaient sursitaires les avait engagés d'office dans son fameux commando Georges , au grand affolement du sous-préfet car tous ces estimables jeunes gens étaient fils de colons importants ou de notables de la région.
Le commando Georges c'était tout Bigeard. Beaucoup de courage, beaucoup de cinéma, beaucoup de résultats.
 Au printemps de 1958, las de la vie des maquis, Youcef s'était rallié mais faute d'encadrement de valeur et de politique suivie on l'avait laissé sans directives. Avec son équipe de harkis il était devenu un bandit de grand chemin, rançonnant, pillant, violant tout ce qui lui tombait sous la main. On avait fini par le mettre en prison à Tiaret où il se trouvait. Immédiatement, Bigeard et Griaud avaient fait sortir le bonhomme ainsi que sept autres fellaghas.

Quelques semaines plus tard, le commando Georges comptait cent cinquante ralliés. Bigeard leur avait fait attribuer les meilleurs équipements, tenues camouflées recoupées, brêlages en toile et surtout des armes très modernes. Le commando était équipé de MAS 49 modifiés 56 et surtout de A.52, un fusil mitrailleur transformable en canon mitrailleuse.
Le « cirque » Bigeard avait trouvé là un terrain de choix. On faisait dans le médiéval. Le Camp du Drap d'or dans le djebel ! Les hommes couchaient dans des guitounes à l'entrée desquelles étaient plantés des étendards, ils ne défilaient que précédés de gonfanons en chantant le plus sérieusement du monde.
Griaud faisait régner une discipline de fer sur son com­ando divisé en sticks et non en sections. Il n'était pas rare de voir un de ses types, torse nu, attaché à un poteau et bastonné par ses compagnons. Personne ne s'en mêlait. Au commando, tout se réglait en circuit fermé. Le lieutenant rendait sa justice et avait sur ses hommes droit de vie et de mort. Avec de pareils éléments, connaissant tout non seulement du maquis, mais de la population, Georges Griaud démolit en quelques semaines l'O.P.A. de Saïda. Partant d'un collecteur il remontait toute la filière. C'était la bataille d'Alger en milieu agricole !
Mais surtout il découvrit le commando F.L.N. de Mohamed Cheikh, infiltré à Saïda pour semer la terreur dans la ville à l'occasion du 14 juillet. Ayant obtenu l'information quatre jours auparavant, Georges lança ses hommes dans la fourmilière. Pour lui, pas à hésiter : ou on les attaque avant ou c'est le carnage. Un collecteur de fonds correctement interrogé finit par lâcher le morceau. Les hommes de Mohamed Cheikh s'étaient réfugiés dans une cache ouvrant dans un puits ! Il fallut donner l'assaut au half-track ! A titre de représailles, toutes les habitations du quartier furent livrées au commando Georges qui les pilla de fond en comble, puis par dérision fit défiler les rebelles survivants, Mohamed Cheikh en tête, en chemise, une corde au cou et un couteau entre les dents ! Le chef rebelle, qui tentera de s'évader, aura le sexe dévoré par un chien du peloton cynophile, spécialement dressé.

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